Retrouvez toute l'actualité supply chain en Bretagne

s’inscrire à la newsletter

Accueil > Actualités > Rencontre avec Tristan, pilote de convois de véhicules routiers

Rencontre avec Tristan, pilote de convois de véhicules routiers

Publié le 3 avril 2019

Quels seront les changements qui surviendront dans les activités, les métiers et les compétences (techniques et transverses) dans les secteurs de la logistique et des transports ? C’est à cette question qu’une récente étude du Département des Etudes Transport et Logistique de l’AFT tente de répondre, notamment au travers de « job fictions ».

Ces « job fictions » cherchent à se représenter des situations de travail pour quelques métiers « cibles » à horizon 2025. Ils envisagent les possibilités de changement dans les activités, les métiers, les compétences (techniques et transverses) à travers de personnages dont les métiers vont être fortement impactés par des mutations technologiques, organisationnelles, de modes de vie…

Ces fictions ont été élaborées au cours d’ateliers de travail animés par l’AFT et auxquels ont contribué des représentants de Bretagne Supply Chain, de Brest Business School, des Chambres d’Agriculture de Bretagne, de la FNTR Bretagne, de la Région Bretagne et de TLF.

En 2025, des infrastructures connectées

Les infrastructures routières ont été équipées de capteurs/objets connectés permettant la communication avec les véhicules et entre véhicules. Une agence intergouvernementale de cybersécurité monitore le niveau de sécurité des réseaux et de l’information et prévient tout risque de cyberattaques. Le platooning a été autorisé à titre expérimental en France par les pouvoirs publics sur certains axes, de nuit (pour limiter les conflits d’usage avec les voyageurs, du fait des leçons tirées des réticences 10 ans plus tôt suscitées par l’expérimentation de véhicules de grandes longueurs 25,25m), et sous condition que les pilotes de convois aient reçu une formation spécifique. Les assureurs ont fait évoluer leurs contrats pour tenir compte de nouvelles règles de responsabilité en cas d’accident. La réglementation continue d’obliger la présence d’un conducteur à bord de chaque véhicule, mais des dérogations (encadrées) sont accordées en matière de réglementation sociale (temps de pause/repos). Ces mesures doivent contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises et de la supply chain françaises (surcoût de 2.000€ à l’achat du véhicule, mais réduction de 10% de la consommation de carburant et de 8% du coût du travail d’après l’étude de NTO publiée en 2015) et d’améliorer la sécurité routière (90% des accidents sont dus à des erreurs humaines). Les plateformes logistiques fonctionnent 7j/7, 24h/24 pour répondre aux exigences d’une logistique toujours plus tendue.

8 février 2025, 21h

Il fait vraiment très froid en cette soirée de février, Farid et moi nous dépêchons de monter dans nos véhicules respectifs qui viennent d’être chargés chez « Termer » de boîtes modulaires à température dirigée contenant du poisson, des fruits de mer ou de la viande. Chaque boîte correspond à la commande boucherie ou poissonnerie d’un point de livraison. Ces boîtes sont préparées toute la journée par la plateforme logistique au fur et à mesure des commandes passées par les magasins des enseignes clientes. Termer est une coopérative née d’une initiative commune de pêcheurs et éleveurs bretons qui se sont regroupés pour massifier leurs envois à leurs clients de la grande distribution. C’était devenu une nécessité pour rester compétitif en termes de prix, de délai et de fréquence de livraison. Termer s’engage à expédier le jour même toutes les commandes reçues avant 18h pour une réception et une mise en rayon dès le lendemain.

Notre société de transport a remporté le marché pour livrer les boîtes de la plateforme Termer à plusieurs hubs. Lorsque c’est possible, par exemple à destination d’Auvergne-Rhône-Alpes ou de PACA, les boîtes prennent le train dans des conteneurs. Mais pour desservir le sud-ouest de la France par exemple c’est le mode routier qui est préféré pour l’instant.

On roule de nuit. C’est plus pénible, il faut rester concentré alors que la visibilité est réduite, mais on circule mieux, c’est plus calme qu’en journée, il n’y a pas de risque d’embouteillage. Cet environnement ennuyeux et monotone est idéal pour rouler en convois. Alors lorsque le platooning a été autorisé à titre expérimental en France, Loïc, notre patron, a voulu tenter l’expérience.

C’est Farid qui est parti devant moi aujourd’hui. Mon véhicule est connecté en wi-fi au sien, à une quinzaine de mètres seulement, au lieu de cinquante mètres habituellement. Ma distance est automatiquement régulée par rapport au véhicule précédent.

Je me suis mis en mode pilote automatique avant de lâcher les commandes. La vitesse et la direction sont gérées de manière autonome grâce aux capteurs situés sur tout le véhicule et qui communiquent avec l’infrastructure et les autres véhicules. Libéré de la gestion de ces paramètres et de la tâche de conduire, je continue néanmoins de veiller aux signaux qui s’affichent sur mon écran de bord ; je dois pouvoir détecter un éventuel problème et reprendre la main en cas de besoin.

Mais, il n’y a plus grand-chose à faire… Alors comme par ailleurs je joue dans un groupe de musique, je lis les partitions pour la répétition demain. Il y a quelques mois, quand nous avons levé des fonds sur une plateforme de crowdfunding pour enregistrer trois titres dans un studio de Rennes, tous mes collègues ont participé, ça m’a vraiment touché. Et on connaît un certain succès sur Youtube en ce moment.

Je n’avais jamais pensé devenir un jour conducteur routier. Depuis le lycée je suis passionné par la musique. Bien sûr, j’aurais adoré vivre de ma passion, mais c’est vraiment difficile, la concurrence est rude. Les lendemains incertains et les pâtes à tous les repas… ah non décidément ce n’était pas pour moi. J’avais envie de pouvoir avoir des projets. Avec Mayanne, mon amie, qui est monitrice de voile, on vient d’acheter un petit catamaran et on se voit bien habiter une maisonnette près de la côte. En voyant une campagne de communication pour recruter des conducteurs routiers d’un nouveau type, je me suis dit que ce métier pouvait constituer une belle opportunité de concilier ma vie professionnelle avec mes choix de vie et mes loisirs.

J’ai suivi un Mooc pour mieux connaître le métier, vérifier que j’avais les aptitudes pour y arriver, et me préparer aux épreuves de sélection pour l’entrée en formation qui dure 10 mois. Pour être admis en formation il faut aussi passer avec succès un examen médical approfondi, des tests et un entretien psychologiques auxquels beaucoup sont recalés. C’est un peu comme pour les pilotes d’avion ou les conducteurs de train, car pour le conducteur routier de tête, le self-control et la maîtrise de ses émotions sont très importants. Ce sont des aptitudes qui ont longtemps été négligées dans notre système éducatif et de formation, mais désormais on a pris conscience de l’importance de développer dès la maternelle l’intelligence émotionnelle.

Les conducteurs de convois de camions doivent obligatoirement être titulaires du certificat de formation platooning. Il leur permet aussi de déroger à la règlementation sociale européenne en vigueur. Comme nous alternons régulièrement les positions de leader et follower, nos périodes de temps de repos n’ont plus besoin d’être aussi longues et fréquentes. Nous ne sommes jamais fatigués, et donc nous restons au mieux de notre efficacité. A la clé, ce sont bien entendu des gains de productivité significatifs pour le client et l’employeur – Loïc réfléchit d’ailleurs sérieusement à la possibilité de rajouter un 3ème véhicule à notre convoi -, auxquels s’ajoutent les gains en carburant du fait de l’aérodynamisme. Nos moteurs, qui fonctionnent au bioGNL issu de la méthanisation des déchets ménagers et agricoles en Bretagne, ont désormais une autonomie de près de 3.000 km.  

Justement, je reçois sur mon tableau de bord un message qui me prévient qu’il est temps que je passe en tête. Je double Farid qui me fait un grand sourire au passage.

Farid a eu la vocation lorsqu’en classe de 3ème cet amateur de jeux vidéo a découvert le métier avec un casque de réalité virtuelle et augmentée, puis qu’il a essayé un simulateur de conduite. A la rentrée suivante il s’est inscrit en bac pro conducteur, puis, une fois bachelier, et après avoir réussi les tests de sélection, il a suivi une formation spécifique pour la conduite en convoi avec de jeunes diplômés comme lui, et aussi des conducteurs routiers expérimentés de PL « classiques ». C’est une formation plus courte que la mienne qui n’avais qu’un permis B.

Farid s’est mis en couple il y a quelques mois avec une jeune chinoise de Carhaix, alors il profite du temps dont il dispose dans sa cabine pour apprendre le mandarin, il part rencontrer sa belle-famille l’année prochaine.

Même en étant dans le véhicule de tête, je suis assisté dans ma conduite par une technologie embarquée qui permet d’améliorer la sécurité et de réduire la consommation d’énergie et les émissions polluantes. L’informatique connaît le relief de la route et optimise la consommation, par exemple en ralentissant avant une descente. Le véhicule est aussi averti du moment où un feu tricolore passe au rouge et pourra anticiper la décélération. En cas de survitesse, la pédale d’accélérateur devient plus dure.

Mon tableau de bord vient de m’indiquer la présence de verglas ; mon véhicule, et celui de Farid derrière, ralentissent instantanément.

Mon écran de bord me signale la moindre anomalie, je reçois des données sur la maintenance préventive du véhicule, sur la température de mes colis, l’état du trafic, les accidents, les chantiers mobiles, le nombre de places de parking disponibles sur les aires de repos… Le moindre incident est consigné dans la block chain. Par exemple si la température à l’intérieur d’une des boîtes atteint une valeur anormale, les intéressés en seront immédiatement avertis (l’exploitation, le destinataire, l’expéditeur) et cette information restera vérifiable de manière infalsifiable dans la block chain.

J’approche du hub que je dois livrer et à partir duquel l’ensemble des magasins de différentes enseignes seront approvisionnés dans un rayon de 150 km en tout début de matinée, avant l’ouverture des magasins ou le début des tournées de livraison à domicile. Farid a repris les commandes de son véhicule car il poursuit jusqu’à la plateforme d’éclatement suivante. Les manœuvres et mises à quai restent des opérations qui demandent de la technicité de la part du conducteur, pour l’instant du moins les véhicules n’en sont pas capables de manière autonomes.

2h30

Mon véhicule a été entièrement déchargé.

J’ai récupéré des boîtes vides et nettoyées à retourner à Termer. Comme elles sont empilées dans un contenant, elles ne prennent quasiment pas de place dans la semi. Sur le trajet retour, j’ai des rechargements planifiés à Niort et Nantes, mais pour améliorer mon taux de remplissage j’active les capteurs qui vont émettre des informations sur ma localisation, ma destination et la place disponible dans mon véhicule et dialoguer avec les balises IoT des clients potentiels. Les tarifs sont fixés sur le mode des enchères combinatoires, via des algorithmes complexes. Rapidement, je reçois les commandes de chargeurs intéressés. En fonction de la capacité de chargement et des besoins de transport, des commandes sont prises automatiquement et viennent renforcer la base d’activité que nous offrent nos contrats avec les grands comptes. Tous les documents nécessaires à la transaction, la prestation de transport et sa facturation sont transmis instantanément de manière dématérialisée. Je vais pouvoir rentrer dans le Morbihan sans délai et avec un taux de chargement optimal. Avec ma remorque « double-deck », l’espace de chargement peut accueillir 66% de palettes en plus qu’autrefois, ou 1 150 tonnes supplémentaires (selon la nature des marchandises transportées), avec jusqu’à 55 palettes transportées.

J’aurais le temps de dormir longuement avant ma répétition en fin d’après-midi.